Créé en 1945, le franc CFA est une monnaie fiduciaire utilisée par une population combinée de 147,5 millions de personnes dans 14 pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre. Le franc CFA est géré par la BEAC et la BCEAO, les banques centrales de l'Afrique centrale et de l'Ouest, respectivement, qui sont à leur tour étroitement liées au Trésor français (Banque de France). Dans le cadre de la collaboration entre le BEAC, le BCEAO et la Banque de France, le taux de change est fixé à l'Euro (1 Euro ≈ 656 FCFA) et l'argent est imprimé en France.
Au cours des dernières années, le franc CFA a fait l'objet de critiques accrues en tant que monnaie coloniale et d'être administré de façon trop rigide pour répondre adéquatement aux besoins des économies africaines l'utilisant. Pendant ce temps, les crypto devises telles que Bitcoin et Ethereum sont devenues populaires dans toute l'Europe occidentale, l'Amérique du Nord, la Russie, la Chine et le Japon. Le succès des crypto devises est partiellement dérivé de la méfiance envers le système bancaire mondial depuis la crise financière de 2009. Une partie de la traction vers les crypto devises s'explique également par ses mérites technologiques (anonymat, intermédiation limitée et contrôle décentralisé) et la récente implication accrue des financiers dans son développement.
Compte tenu du scepticisme entourant le francs CFA et de l'attrait des crypto devises, il n'est plus illégitime de se demander si une monnaie virtuelle parrainée par l'État pourrait devenir une alternative viable aux francs CFA. Plus précisément, il est important de déterminer dans quelle mesure une telle monnaie pourrait répondre aux problèmes soulevés par le francs CFA, tout en tenant compte des difficultés probables de mise en œuvre. Avant de plonger dans le cœur du sujet, nous allons élaborer les principales caractéristiques d'une monnaie virtuelle et rappeler les principales raisons de la critique des francs CFA.
Grâce à notre recherche, nous sommes arrivés à la conclusion que les crypto devises sont des alternatives viables aux francs CFA dans la mesure où ces dernières transfèrent la souveraineté monétaire aux utilisateurs et leurs systèmes de fixation des taux de change permettent des ajustements plus légers et précis par rapport à la dynamique du commerce international. Néanmoins, ils sont vulnérables aux spéculations sur le marché, ils sont difficiles à réglementer et il y aurait des obstacles importants pour les mettre en œuvre.
Les problèmes du Francs CFA
Le manque de souveraineté est une cause majeure de critique du francs CFA. Les questions de souveraineté découlent principalement du fait que, à travers la Banque de France, la France détient un droit de veto sur les conseils d'administration de la BEAC et de la BCEAO, ce qui de fait assure que toute mesure monétaire prises préserve les intérêts français. La souveraineté est également compromise car les billets et pièces de monnaie en Francs CFA sont produits uniquement sur le sol français, sous l'approbation du Trésor français. Puisque la prise de décision monétaire et la fourniture des monnaies francs CFA sont contrôlées par la France, la souveraineté monétaire des nations l’utilisant est compromise. En outre, selon la prémisse que la véritable indépendance d'un pays dépend de son indépendance militaire, politique et monétaires, on pourrait facilement argumenter qu’en absence de souveraineté monétaire, les États utilisant les francs CFA (états Francs CFA) ne sont pas vraiment décolonisés France.
La manœuvrabilité limitée du francs CFA est une autre source importante de préoccupation. Tous les pays utilisant le francs CFA sont tenus de conserver la moitié de leurs réserves de change dans des comptes d’opérations du trésor français; restreignant ainsi la capacité de ces pays à financer leur budget national par le biais du commerce. Cela oblige ces pays à compenser leurs déficits budgétaires par des coûteuses émissions d'obligations souveraines. Un autre principe handicapant est le système de parité fixe du taux de change entre le francs Euro et CFA. Bien que certains partisans de cette politique affirment qu'elle garantit la stabilité de la monnaie et limitent l'inflation, elle a l'effet secondaire d'empêcher le taux de change de s'ajuster de manière organique aux forces du marché de l'offre et de la demande pour la monnaie. Cette contrainte est aggravée par le fait que les politiques monétaires de l'euro (pour les pays développés de l'UE) ne peuvent pas correspondre adéquatement aux politiques monétaires nécessaires aux États Francs CFA. Pourtant, les politiques monétaires de CFA Francs s'arriment rigoureusement a celles de l’Euro. En raison de cette inadéquation, la plupart des économistes estiment que le francs CFA est une devise surévalués.
Par conséquent, le manque de maniabilité et de souveraineté du francs CFA sont les principales causes de critiques.
Les caracteristiques d’une crypto devise
Une crypto devise est une monnaie virtuelle qui utilise des techniques de cryptage pour réguler la génération d'unités de monnaie et vérifier le transfert de fonds, fonctionnant indépendamment d'une banque centrale. Les systèmes de crypto devises fonctionnent sous une technologie appelée blockchain[1]. Dans le cadre d'une technologie blockchain, la sécurité, l'intégrité et l'équilibre des livres sont soutenus par une communauté de partis mutuellement méfiant appelés les miniers[2]. Les crypto devises qui rencontrent le plus de succès sont Bitcoin et Ethereum. Les caractéristiques clés des crypto devises sont le contrôle décentralisé, l’incorruptibilité, la pseudonymité et la production limitée de devises.
Les crypto devises transferent la souverainté monétaire aux utilisateurs
La technologie blockchain qui supporte les crypto devises n'a aucune autorité centrale. Les banques centrales exercent un contrôle sur la masse monétaire et sur les taux d'intérêt qui influent à leur tour sur l'inflation et les taux de change des devises conventionnelles telles que les francs CFA. Avec les crypto devises, le nombre total de monnaie à produire est déterminé à la conception de son système. En tant que tel, l'offre de crypto devises augmente à un taux de dégressif à travers les miniers chargés de vérifier et de valider les transactions. Le contrôle décentralisé intégré sur l'infrastructure du blockchain des crypto devises ramène le contrôle à ses utilisateurs, plutôt qu'a une banque centrale.
La nature peer-to-peer des crypto devises élimine la nécessité d’intermédiation fiduciaire. Les banques par essence sont des agents fiduciaires parce que leurs billets (initialement considérés comme une garantie de dépôt d'or dans une voûte de banque) sont des moyens de paiements largement acceptées. Les pays Francs CFA se conforment aux exigences en matière de dépôt en compte d’opération du Trésor français car il est censé procurer de la confiance en la stabilité de leur politique monétaire. Étant donné que les transactions en crypto devises sont sécurisées par un réseau de cryptage d’ordinateurs, les rôles d'intermédiations (et les coûts) généralement assumés par les banques sont considérablement réduits. Par conséquent, sous un système de crypto-monnaie, non seulement il n'y aura plus d'obligation de stocker des réserves de change dans un compte d'opérations d'intermédiaire (Banque de France), le rôle des banques sera grandement diminué et l'efficacité de la transaction s'améliorera de manière significative.
Ainsi, parce que la technologie blockchain qui supporte les crypto devises possède une autorité décentralisée intégrée et que la nature peer-to-peer des crypto devises réduit le besoin d'intermédiation des banques centrales, les crypto devises résoudraient non seulement les problèmes de souveraineté monétaire actuelle, il sera largement contrôlé par ses utilisateurs plutôt que par une banque centrale.
La valeur de la monnaie est determinée par les forces de marché traditionnelles, mais avec risques eleves de volatilité
À l'instar d'une monnaie fiat traditionnelle, une crypto-monnaie fonctionne sous un système de taux de change libre. Plus les gens achètent une monnaie crypto, plus leur taux de change augmente. À l'inverse, plus on utilise une crypto monnaie, plus l'unité de cette monnaie est produite par les mineurs, ce qui diminue son taux de change. Tout comme toute autre monnaie, il s'agit de interjection entre les forces de la disponibilité de la monnaie crypto et celle de son utilisations qui déterminent principalement sa valeur. Ironiquement, le mécanisme traditionnel du taux de change libre d'une crypto monnaie pourrait contribuer à atteindre un équilibre avec plus de précision et de facilité que le mécanisme actuel du taux de change fixe entre l'euro et le franc CFA, et ainsi éviter d’être surévaluer. Cela pourrait contribuer à améliorer la compétitivité des produits locaux et stimuler la croissance économique.
Même si le système de valorisation de la crypto-monnaie est directement influencé par les forces du marché, un tel système monétaire n'est pas à l'abri de la spéculation sur le marché. Par exemple, le taux de change de Bitcoin en dollars américains a augmenté d'environ mille fois entre janvier 2012 et juillet 2017 alors que les volumes de transactions n'ont augmenté que 32 fois au cours de la même période.
Une des principales causes de cette désaccordance sont les activités spéculatives sur les marchés financiers. Bien que Bitcoins ne soit pas encore un moyen de paiement largement accepté, de nombreux traders ont spéculé sur la hausse de son cours, ce qui a considérablement augmenté son taux de change avec le dollar américain. La spéculation sur le marché a pour effet négatif de surévaluer le Bitcoin en tant que monnaie d’échange et de le transformer en un actif spéculatif à utiliser (comme l’or) comme un conservateur de valeur par rapport aux fluctuations des taux de change sur les monnaies fiat conventionnelles. Cette tendance crée un cycle vicieux dans lequel le Bitcoin est actuellement piégé.
Néanmoins, la mauvaise valorisation de la monnaie pourrait être hypothétiquement évitée si un État (ou union économique d’états) soutient activement l’adoption d’une crypto monnaie clé en tant que moyen de paiement. Cela encouragerait une acceptation plus rapide et élargi de la crypto devise qui pourrait être utilisée comme toile de fond contre les méfaits des spéculations sur les marchés.
Fondamentalement, le fait qu'une crypto devises fonctionne sous un système de taux de change libre est en soi une amélioration par rapport à un système taux de change à parité fixe sur l'Euro. Cependant, plus qu'une monnaie fiat, une crypto monnaie est vulnérable aux spéculations du marché, comme l'illustre le cas Bitcoin. Néanmoins, le risque de spéculation du marché pourrait être freiné par un parrainage de gouvernementale.
Les crypto devises sont difficiles a reglementer
La taxation des crypto devises est délicate. Tout d'abord, une monnaie virtuelle est difficile à définir dans un cadre juridique établi car, par définition, ce n'est ni une société, ni une entité légale, mais plutôt un réseau mondial peer-to-peer d'un moyen de paiement. En l'absence d'un cadre juridique, nous ne pouvons pas savoir comment taxer les transactions. Même si un cadre juridique pour les crypto devises aurait été défini, les monnaies virtuelles apportent des défis comptables car il n'existe aucun outil établi pour estimer les impôts dus.
La nature pseudonyme des crypto devises rend plus difficile l’application de règlementation contre les usages criminels. Étant donné que les comptes et les transactions de la crypto-monnaie ne sont pas directement connectés aux identités du monde réel, mais plutôt aux adresses chiffrées (portefeuilles digitale), il est techniquement difficile d'identifier les transactions et leurs objets. Par exemple, Silk Road, un site du Dark Web qui a exploité le réseau d'anonymat Tor et Bitcoin pour créer un grand marché numérique, a permis à ses participants de commercialiser des produits et services illégaux tels que des drogues illicites et des documents d'identité falsifiés. Il a fallu des efforts concertés considérables d'enquête de plusieurs agences fédérale américaines pour fermer le site.
Des obstacles d’implementation significatifs
Les pénuries d'électricité pourraient entraver une mise en œuvre stable. L'électricité est nécessaire pour alimenter l'infrastructure informatique prenant en charge les devises crypto. Malheureusement, l'Afrique n'a qu'un taux d'accès électrique de seulement 40%. Le Nigéria, première puissance économique en Afrique subsaharienne, subi en moyenne 260 heures de pannes de courant par mois. Le Cameroun, qui est considéré comme le contributeur énergétique le plus important en Afrique centrale, a besoin d'une capacité supplémentaire de production d'électricité de 100 MW par an, juste pour répondre à la demande. La stabilisation de l'approvisionnement en électricité est une clé du succès des crypto devises, car une panne de courant unique peut faire perdre des milliards de dollars de données de transaction stockées sur les blockchains.
Comme l'électricité, un faible accès à Internet pourrait compromettre l’utilisation efficace des crypto devises. Internet est indispensable pour gérer un système de crypto-monnaie, car il dépend de cela comme véhicule de communication pour transférer des données sur les réseaux de miniers. Cependant, bien qu'on estime à 281 millions le nombre d'internautes en Afrique, le taux d'accès moyen est de 23%. Au Cameroun, en raison du manque d'accès à Internet, seulement 6,4% de la population a déjà utilisé le commerce électronique selon PwC. Non seulement l'accès à Internet est insuffisant en Afrique, il y a aussi des lacunes en matière de cyber sécurité. En 2013 seulement, la cybercriminalité a provoqué une perte estimative de 26 milliards de FCFA en Côte d'Ivoire. La sécurisation d'un accès Internet fiable et élargie est essentielle à l'adoption des crypto monnaies dans les États Francs CFA, car c'est la principale technologie de communication par laquelle les participants effectuent des opérations.
Comme indiqué précédemment, le but de cet article est d'évaluer l'adéquation des crypto devises parrainées par l'État en région CEMAC. Le parrainage de l'État implique que les gouvernements appuient, participent et, dans une certaine mesure, réglementent l'utilisation des crypto devises. Les appuis gouvernementaux sont importants pour assurer que ce système de monnaie fonctionne pour le bien commun de leur économie et de leur société. Cependant, les acquis politiques ne favorisent pas forcement l'adoption des crypto devises. Maintenir le francs CFA a encore des vertus telles que le maintien de taux d'inflation bas (inférieurs à 3%), avoir une politique de taux de change prévisible et d’éviterles exodes de capitaux massives, le système actuel devrait changer radicalement. Mises à part les considérations patriotiques, les citoyens sont tout à fait satisfaits du CFA car sa valeur est stable et il peut être utilisé avec facilité dans toute la région de la CEMAC. Le passage à une crypto monnaie parrainée par l'État nécessiterait des sauts technologiques et administratifs colossaux. Il pourrait facilement prendre une décennie pour préparer le grand public à un tel changement, négocier une sortie des francs CFA avec la BCEAO et la Banque de France, et réglementer l'utilisation de crypto monnaie. Historiquement, la plupart des dirigeants politiques qui ont tenté de s’affranchir du francs CFA ont été renversés du pouvoir soit par des coups d'Etat, soit par assassinat. Le cas le plus poignant à ce jour a été l'assassinat de l'ancien président togolais Sylvanus Olympio en 1963, trois jours après avoir rompu officiellement les liens monétaires avec la France. À la lumière de toutes les considérations susmentionnées, la volonté politique de passer à un système monétaire différent (et encore moins à la crypto-monnaie) pourrait être faible.
Conclusion
En conclusion, le parrainage par l'État d'une crypto devise en remplacement du francs CFA pourrait être prometteur car elle renvoie la souveraineté monétaire à ses utilisateurs (en raison de la nature décentralisée et désintermédié de sa technologie sous-jacente) et son mécanisme de taux de change flottant aide à éviter d'être trop surévalué, ce qui par conséquent améliorera la compétitivité commerciale et stimulera la croissance économique. Toutefois, le risque élevé de volatilité des devises pourrait étouffer son potentiel d'adoption large. Il est difficile de réglementer et taxer les crypto devises en raison de leur nature pseudonyme et de leurs manques de cadre juridique. Des obstacles importants en matière d'infrastructure, de technologie et de politique rendent particulièrement difficile la mise en œuvre de système monétaire virtuel. Néanmoins, les systèmes de crypto-monnaie sont toujours en phase de développement. Tout effort de transition réaliste à leur égard nécessiterait une approche prudente, pragmatique et progressive. L'avènement de solutions de paiement numériques telles que Orange Money et MTN Money a prouvé que l'adoption rapide et élargi de nouvelles technologies est possible en Afrique centrale, à condition qu'elles répondent sensiblement aux besoins quotidiens des masses. À la lumière de ses promesses, l'évolution des crypto devises doit être soigneusement surveillée. La Chine (un partenaire commercial majeur pour la plupart des pays africains) a récemment développé un prototype de crypto devise à utiliser avec le Yuan. Le Japon a accepté l'utilisation des crypto devises pour les achats. La banque centrale de Russie a déjà déployé une blockchain d’Ethereum en tant que projet pilote pour traiter les paiements en ligne et vérifier les données des clients auprès des prêteurs. Les États africains reconnaissent les crypto monnaies et prennent des mesures pour son utilisation à court terme. La Banque de réserve sud-africaine (SARB) et d'autres institutions financières majeures commencent à développer des contrats intelligents basés sur la blockchain d’Ethereum pour les opérations de levée de dette syndiquée. La BCEAO prépare également une monnaie numérique appelé le e-CFA.
Par Arnold A. KAMANKE
[1] Le blockchain est un registre digital decentralisé and distribué qui est utilisé pour enregistrer les transactions a travers un réseau d’ordinateur de tel sorte que les enregistrements ne puissent être alteré retroactivement sans occasionner une collusion du réseau.
[2] les membres du grand public qui utilisent des ordinateurs pour valider et les horodatées les transactions en les ajoutant au grand livre conformément à un schéma d'horodatage particulier.