COMMENT PEUT ON CONCURRENCER LES ENTREPRISES A FAIBLE COUTS EN AFRIQUE CENTRALE ?

L'environnement des affaires dans la région de la CEMAC a été historiquement dominé par les entreprises multinationales étrangères (EMN). Leur présence va de produits industriels avec des marques de renommée mondiale, tels que les camions Mercedes-Benz (Daimler Benz) aux biens de consommations courantes de marque locales tels que les chocolats Mambo (Tiger Brands). La plupart de ces entreprises nous ont fourni, depuis des décennies, des produits auxquels nous nous sommes familiarisés, souvent sans se rendre compte de leurs origines étrangères. Du point de vue purement économique leur importance est évidente. Au Cameroun, 97% des recettes fiscales de l'État proviennent des multinationales étrangères; Brasseries du Cameroun (filiale du Groupe Castel) est la plus grande entreprise privée en Afrique centrale avec un chiffre d'affaires de $ 584,5 millions en 2016.

Malgré leur hégémonie, les multinationales étrangères sont de plus en plus menacées par la prolifération des produits concurrents à bas prix dans presque tous les secteurs. Dangote Cement Cameroun a dépassé Cimencam de Lafarge Holcim, avec 43% de la part du marché du ciment (en moins de deux ans) en introduisant des ciments 20 à 40% moins cher que la concurrence à qualité comparable. De même, dans l'industrie des boissons camerounaise, Source du Pays a conquis le marché de l'eau minérale (52% des parts de marché en 2016) en un court laps de temps en recyclant les produits dans des formats plus économiques. Dans l'industrie automobile d'Afrique centrale, les distributeurs établis tels que CFAO et Tractafric sont entrain de faire face à une érosion de leurs parts de marché dans le segment des véhicules légers en raison de l'introduction des voitures sud-coréennes, moins chers et souvent plus fiables, comme KIA et Hyundai.

La menace croissante des concurrents à faible coût (low cost) pour les opérateurs à notoriété établis est particulièrement puissante en Afrique centrale en raison de l'importance majeure que les consommateurs accordent aux prix comme facteur de décision d'achat; plus important que dans la plupart des autres régions du monde. À la lumière de ce problème, nous définissons dans cet article ce qu’est un concurrent low cost et pourquoi il est particulièrement difficile de les concurrencer dans la région CEMAC. Tout au long de notre analyse et de notre recherche, nous avons déterminé que les meilleures stratégies pour faire face à de telles conditions de marché sont soit de devenir un fournisseur de solutions, soit de s'associer à une autre entreprise à faible coût (ou du moins d'être un), soit de se transformer en entreprise à faible coût. Dans tous les cas, les entreprises établies sont tenues de répondre prompteté et efficacité.

Attributs d’un concurrent low cost

Les entreprises low cost se caractérisent principalement par des coûts d'exploitation structurellement bas et par un fort taux de rotation des actifs.

Grâce à des coûts de production structurellement plus faibles que ceux des concurrents établis, les entreprises low cost sont capables de réduire sensiblement leurs prix tout en restant rentables. Dans la région de la CEMAC, une approche commune pour minimiser les coûts opérationnels consiste à maximiser l'emploi de la main-d'œuvre locale à des salaires compétitifs et à tirer parti des exonérations fiscales de fabrication industriel locale. En raison de ces avantages, les entreprises locales de fabrication telles que Laboratoires Biopharma et Parlite Foods ont été en mesure de vendre leurs produits régulièrement dans les gammes de prix les plus bas de leurs catégories de produits. Alternativement, les produits laitiers européens fournissent plus de 70% de la demande du marché en raison des subventions de l'Union européenne et des exonérations douanières. Les accords de libre-échange tels que les APE permettent souvent de vendre des produits importés à des prix prohibitifs pour les producteurs locaux.

Le fort taux de rotation des actifs résulte de la maximisation de l'utilisation des actifs et / ou de la diminution des besoins en fonds de roulement. Dangote Cement Cameroun (DCC) doit sa compétitivité à sa logistique robuste. L'entreprise de ciment a acheté 220 camions de chargement (20% de l'ensemble de sa flotte nationale) pour sécuriser les expéditions à travers le pays. L’utilisation de ses propres camions réduit non seulement les coûts d'expédition de 9%, mais assure également un approvisionnement en ciment plus souple et plus fiable. Parallèlement, DCC a construit son propre quai de navire sur le fleuve Wouri pour éviter les congestions d'approvisionnement en matières premières a partir des navires du port de Douala. Une utilisation intensive des actifs améliore la productivité opérationnelle, ce qui augmente à son tour les volumes de vente.

C'est la combinaison d'un accroissement du taux de rotation des actifs immobilisés, décuplé d'une baisse des marges brutes qui permet aux entreprises à faible coût d'obtenir des rendements et une croissance supérieurs.

Defis provenant des entreprises low cost

Une partie de la raison pour laquelle les entreprises à faible coût sont des concurrents si tenace est qu'ils sont difficiles à identifier et contre carrer. Il est difficile pour les opérateurs établis de les identifier car ils développent souvent une approche commerciale furtive en s’appuyant prioritairement sur des segments de marché non développés. Parfois, ils comblent les lacunes compétitives en s’appropriant le look, la sensation et les fournisseurs de grands rivaux. Dans d'autres cas, la concurrence entre les concurrents à faible coût peut produire des effets secondaires (les clients se familiarisent avec des produits bon marché) qui échappent à l'attention des titulaires jusqu'à ce qu'il soit trop tard pour éviter une érosion sévère de leur position sur le marché. Il est également difficile de répondre aux opérateurs low cost parce que les guerres de prix sont généralement plus dommageables pour les entreprises de références que pour le premier; leurs modèles commerciaux ne peuvent pas être facilement répliqués car ils peuvent prendre des années pour être mis en œuvre et une copie partielle de leur mode opératoire ne fonctionne jamais; les stratégies de différenciation ne fonctionnent que dans un ensemble particulier de circonstances.

Une autre raison pour laquelle les opérateurs à faible coût représentent un défi est que leur proposition de valeur aux clients est particulièrement adaptée et attrayante pour les Africains subsahariens. Par exemple, selon l'institut de recherche McKinsey, bien que la fidélité à la marque et la qualité perçue des produits importent, le prix est le critère d'achat le plus important pour les Africains subsahariens. Seulement 32% d'entre eux craignent que les produits à bas prix ne soient de mauvaise qualité. Au Nigéria, 89% des répondants estiment que les marques internationales ne sont pas meilleures que les marques locales. Ces faits impliquent que les produits moins coûteux sont plus facilement acceptés par les Africains subsahariens, même s'ils peuvent être de moindre qualité et attacher un statut inférieur. De ce fait, s'appuyer sur l'image de marque de force pour vendre des produits de première qualité aux Africains, comme le font habituellement les multinationales occidentales, n'est pas une stratégie suffisamment efficace pour contrer les entreprises à faible coût dans la région de la CEMAC.

La capacité des entreprises à faible coût à redéfinir l'ensemble du paysage concurrentiel les rend encore plus dangereuses. Le concurrent à faible coût transforme sa chaîne de valeur pour réduire considérablement les prix. Avec des coûts réduits en tant que pivot pour influencer les habitudes de consommation, ils cassent les codes des adversaires plus grands et moins flexibles et utilisent leurs masses et élans contre eux même. Les réponses sont souvent trop tardives pour être efficaces et sont entravées par des hypothèses stratégiques qui ne s'appliquent plus. Les plus grands rivaux trouvent bientôt qu'ils combattent une guerre sur les termes des nouveaux concurrents.

Les industries et les produits mûrs offerts par les entreprises généralistes sont particulièrement vulnérables aux concurrents low cost. De nombreuses industries matures sont caractérisées par de faibles dépenses en recherche et de développement, les entreprises anciennes qui résistent aux changements et la conviction parmi les entreprises existantes que le faible taux de croissance de leur industrie décourage les nouveaux concurrents d'entrer sur le marché. Cela explique en outre, pourquoi les industries du ciment, du sucre et de la peinture en Afrique centrale ont été particulièrement submergées par des concurrents low cost au cours des dernières années.

Les antidotes des concurrents low cost

Malgré les dangers des entreprises à faible coût pour les multinationales étrangères établies, nous croyons qu'il existe principalement 3 stratégies qui peuvent aider à faire face à une telle concurrence en Afrique centrale: devenir un fournisseur de solutions; combiner les opérations conventionnelles avec des opérations low cost; se transforme en un opérateur low cost.

Devenir un fournisseur de solutions

Devenir un fournisseur de solutions signifie combiner des offres de produits avec des services en une formule commerciale. La clé de cette stratégie est que la combinaison des produits et des services de l'entreprise devrait fournir une plus grande valeur aux clients que les produits vendus seuls.

Par exemple, jusqu'à la décennie 1990, IBM était connue comme une importante société de matériel informatique, créditée d'importantes inventions telles que le distributeur automatique de billets (DAB), le PC et la disquette. Au début des années 90, les activités d'IBM ont été menacées car il est devenu de plus en plus possible de déplacer certaines charges de travail des entreprises sur des ordinateurs à terminaux centraux chers vers des ordinateurs alimentés par une technologie à microprocesseur à moindre coût. En réponse, la société a commencé à facturer séparément les services et le support qui avaient déjà été intégrés dans le prix d'un grand ordinateur terminal central. Pendant ce temps, la société s'est éloignée de plusieurs de ses activités matérielles, y compris le spin-off de Lexmarks, sa filière de fabrication d'imprimantes, et la vente de ses activités PC (ThinkPad) à Lenovo. Aujourd'hui, les services et les logiciels représentent plus de 80% des activités d’IBM. Depuis juillet 1996, le cours des actions d'IBM a augmenté de six fois à 144 $.

Cette stratégie a l'avantage de permettre à l'entreprise de se déplacer dans sa chaine de valeur et de développer de nouvelles capacités; fournir des produits et des services à plus grande marge grâce à une valeur proposition client plus élevée. Cependant, cela nécessite souvent des changements considérables de compétences d'une entreprise.

Combiner des activitées conventionelles a des activitées à faible coût

La combinaison d'une entreprise traditionnelle avec une entreprise low cost peut être accomplie soit par les formations d’alliances, des coentreprises ou des acquisitions. Comme la plupart des partenariats commerciaux, le succès dépend de l'identification et du déverrouillage des synergies. Les entités combinées devraient avoir le potentiel d'être plus performantes ensembles que séparées, c'est-à-dire que l'entreprise traditionnelle établie doit pouvoir allouer des ressources complémentaire à l'activité low cost. L'activité traditionnelle établie devra plus compétitive en conséquence et l'entreprise à faible coût devrait être plus rentable qu’elle le serait en maintenant son indépendance.

Face à la concurrence intense des constructeurs automobiles haut de gamme comme bas de gamme tels que BMW et Tata Motors respectivement, Renault a acquis le constructeur roumain Dacia en 1999 dans le but de fournir des véhicules légers économiques et fiables aux marchés émergents en s’appuyant sur ses capacités de fabrication et son marché mondial réseau de distribution. Dès lors, 2 milliards d'euros ont été investis dans la modernisation de l'usine principale de Dacia à Mioveni. Renault a adopté une approche rigoureuse de diminution de coût à la conception, en utilisant moins de pièces qu'une voiture occidentale typique, offrant une gamme limitée d'options de couleurs extérieures, en redessinant le pare-brise pour réduire les coûts d'installation et de production, et en créant des véhicules faciles à entretenir. L'accent mis sur la réduction des coûts de Dacia lui a valu un avantage de commercialiser de véhicules en moyenne 30% moins chers par rapport à certains concurrents. Sur les 5 voitures les plus vendues du Groupe Renault, 3 sont des modèles Dacia avec plus d'un million d'unités vendues en 2016. Selon un ancien directeur d'exploitation de Renault, Carlos Tavares, Dacia est une «vache à lait» pour le Groupe Renault.

La combinaison des entreprises low cost et traditionnelles a l'avantage d'accroître la portée du marché tout en améliorant la rentabilité sur les marchés frontaliers. Néanmoins, cela oblige l'entreprise à avoir une discipline solide dans l'évaluation des marchés et des produits à cibler.

Se tranformer en entreprise low cost

Si aucune synergie n'est entrevue entre la combinaison de l'entreprise établie et l'entreprise à faible coût, si les propriétaires sont disposés et capables d'acquérir de nouvelles capacités; et un segment majeur de leurs clientèle fait principalement des achats sur la base des prix, alors les entreprises établies devraient essayer de se transformer en entreprise low cost.

À l'insu du grand public, Ryanair était une compagnie aérienne traditionnelle qui a transformé tous les aspects de son modèle économique pour devenir l'opérateur aérien dominant low cost qu’il est aujourd'hui. La transformation de Ryanair est passée par la recomposition de toute sa flotte de variétés d'avions en un seul type d'avion; les opérations ont été transférées vers des aéroports secondaires moins chers; et les réservations ont été réorientées vers le centre d'appel et l'Internet plutôt que des agences de voyages. Les caractéristiques communes d’entreprises aériennes telles que la classe affaires, le transport de marchandises et les repas gratuits ont été éliminées. La société domine maintenant le marché européen des vols à courte distance avec 1800 voies commerciales aérienne.

Une stratégie de transformation à faible coût a l'avantage d'assurer l'efficacité grâce à une réorganisation. Cela améliore également le positionnement concurrentiel à long terme des entreprises. Cependant, afin de parvenir à une telle transformation, les titulaires établis doivent vraiment éliminer les coûts structurels existants qui peuvent être singulièrement lourds pour les entreprises ayant des cultures et des styles de gestion profondément enracinées.

En conclusion

Parce que les entreprises à faible coût sont difficiles à identifier et à contrer ; parce que leur proposition de valeur répond aux attentes des clients et parce qu'elles ont tendance à modifier les paysages concurrentiels dans des industries entières, les entreprises établies devraient être rapides et efficaces pour adopter des stratégies de contre. Nous soutenons que se transformer en activité à faible coût, combiner les entreprises traditionnelles avec des entreprises low cost ou devenir un fournisseur de solutions peut produire des résultats sur le long terme contre des concurrents low cost. Décider de la stratégie qui convient le mieux exige une recherche et une analyse approfondies pour déterminer quelles ressources sont les plus pertinentes à déployer dans un certain contexte. Negus Advisory se spécialise dans le développement de stratégies pour répondre à des problèmes commerciaux complexes tels que la lutte contre les concurrents à faible coût.

 

Par Arnold A. KAMANKE